21/09/2025
Le réformateur Martin Luther est reconnu comme un excellent traducteur de la Bible, tant pour ses compétences linguistiques que pour l'impact culturel et spirituel de sa traduction. Sa Bible allemande qui est parue en 1534 est considérée comme une œuvre majeure, non seulement dans l'histoire du protestantisme, mais aussi dans le développement de la langue allemande et de la traduction biblique en général.
Martin Luther était un érudit qui maîtrisait le latin, le grec et l'hébreu, ce qui était exceptionnel à une époque où la majorité des traductions s'appuyait sur la vulgate latine plutôt que sur les textes originaux. Martin Luther a voulu effectué un retour aux sources en traduisant directement à partir des textes hébreux et grecs. Il a cherché à se rapprocher du sens originel et n'a pas hésité à critiquer la vulgate, qu'il jugeait trop imparfaite.
Martin Luther voulait que sa Bible soit compréhensible pour l'ensemble du peuple. Il a donc utilisé un allemand vivant et idiomatique (qui relève des singularités propres à une langue en particulier), évitant le "latinisme rigide".
A son époque, la traduction de Martin Luther a été très largement admirée, même par certains de ses adversaires comme le théologien catholique Hieronymus Emser, qui a reconnu la qualité littéraire de son travail.
Plus récemment, au 20ème siècle, les historiens et biblistes ont confirmé l'excellence de Luther comme traducteur. Plusieurs érudits, tel Eric w. Gritsch ("Luther's works", vol 35) rapportent que Martin Luther combinait "fidélité au texte original et liberté stylistique pour rendre le texte vivant".
Luther a-t-il vraiment falsifié la traduction de Romains 3v28 ?
Le théologien catholique Hieronymus Emser va s'opposer à Martin Luther dès 1519, en critiquant vertement ses thèses sur la "justification par la foi" et son rejet de "l'autorité papale". En 1521, il publia "De Disputatione Lipsicensi", attaquant Luther et défendant la tradition catholique. Parmi ses reproches, il va accuser Martin Luther d'avoir ajouté le mot "allein" (seul) dans sa traduction de Romains 3v28, dans le but de soutenir le Sola Fide (La foi seule). Qu'en est-il vraiment ?
• Texte original grec : « Logizometha gar dikaiousthai pistei anthropon chôris ergôn nomou » (Nous estimons que l'homme est justifié par la foi sans les œuvres de la loi).
• Traduction de Luther : « Wir halten, daß der Mensch gerecht werde durch den Glauben allein, ohne des Gesetzes Werke » (Nous estimons que l'homme est justifié par la foi seule, sans les œuvres de la loi).
• Accusation catholique : Luther a ajouté le mot «allein» (seule), qui n'existe pas dans le grec original. Cela aurait été fait pour forcer le texte à soutenir sa doctrine de la justification par la foi seule, au détriment de l'enseignement catholique sur la foi et les œuvres. Des théologiens catholiques comme Hieronymus Emser l'ont dénoncé comme une « falsification » lors de la controverse des traductions en 1523. Cette critique a été reprise au Concile de Trente (1545-1563) et dans des écrits comme ceux de Johann Cochlaeus (1530s), qui accusait Luther de « violer les Écritures » pour des raisons doctrinales. De nos jours, cette accusation perdure, puisque des sites comme "Catholic Answers" affirme : "Luther a traduit de manière biaisée pour imposer sa théologie, contredisant le grec original".
Martin Luther est donc accusé de "falsification" et de "contredire le grec original". Face à ces accusations, Martin Luther avait déjà répondu à son époque dans "Sendbrief vom Dolmetschen" ("Lettre ouverte sur la traduction", 1530s) et il y écrit : "Le grec dit : SANS LES OEUVRES DE LA LOI, ce qui implique : SEULEMENT PAR LA FOI. En allemand, pour que ce soit clair, j'ajoute ALLEIN. Si je ne le faisais pas, ce serait du charabia". A juste titre, Martin Luther explique que la "langue cible" d'une traduction exige des ajustements pour la fluidité, sans changer le sens théologique, à savoir que "la foi exclut les oeuvres de la loi".
D'ailleurs, cette accusation à l'encontre du réformateur est d'autant plus absurde que nous disposons de nombreuses preuves historiques, à savoir des traductions catholiques antérieures ou contemporaines à Martin Luther, qui ont aussi utilisé des équivalents de "seule" dans leur traduction, comme le rappelle très justement le médecin théologien Maxime Georgel : "Premièrement, il faut relever que le rôle d’un bon traducteur est de donner au lecteur de comprendre le sens du texte et non de faire un mot à mot. Le choix de Luther de traduire par « foi seule » une formule qui, en grec, exclut un autre membre de la justification est tout à fait légitime, puisque le « seule » peut exprimer cette exclusion. Deuxièmement, il faut relever que Luther est très loin d’être le premier à traduire ainsi ce texte".
En effet, le cardinal Bellarmin (1542-1621), théologien papal auprès de Paul V (Membre de la Congrégation du Saint-Office), et qui sera béatifié en 1923 avant d'être canonisé en 1930, puis proclamé "Docteur de l'Eglise" catholique en 1931 par le Pape Pie XI, relève 8 auteurs, avant Luther, qui ont employé cet adverbe "seule". Voici les références qu’il fournit :
A ces 8 références, le bibliste et théologien catholique Joseph Augustine Fitzmyer (1920-2016), par ailleurs historien des manuscrits de la mer Morte et spécialiste des langues sémitiques, va ajouter 5 autres références :
Enfin, le théologien calviniste américain Charles Hodge (1797-1878), qui était Directeur du Séminaire théologique de Princeton entre 1851 et 1878, rapporte dans son commentaire sur l’épître aux Romains, que plusieurs Bibles catholiques ont également traduit, dont certaines avant Luther, par «foi seule» ce verset :
Maxime Georgel conclut ainsi cette controverse : "L’accusation contre Luther est sans substance. La traduction du docteur allemand relève du choix légitime de traducteur et n’est pas sans précédent".